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Archive for 26 juillet 2011

Des éclairs

« Le pigeon, pourtant.

Le pigeon couard, fourbe, sale, fade, sot, veule, vide, vil, vain.

Jamais émouvant, profondément inaffectif, le pigeon minable et sa voix stupide. Son vol de crécelle. Son regard sourd. Son picotage absurde. Son occiput décérébré qu’agite un navrant va-et-vient. Sa honteuse indécision, sa sexualité désolante. Sa vocation parasitique, son absence d’ambition, son inutilité crasse.

Incomparable au moineau qui détient du charme, au merle qui sait donner de la voix, au corbeau qui n’est pas sans classe, à la pie qui possède un style, pire que le charognard qui a au moins un but dans la vie, aussi sensuel qu’un rat, aussi racé qu’un taon, moins élégant qu’un ver, encore plus con que le catoblépas.

On tuerait un pigeon sans guère plus d’états d’âme qu’on écrase une blatte, il est cependant si nul qu’on s’en abstient. Par paresse ou par amour-propre, on se retient de lui donner un coup de pied sauf pour prendre un peu d’exercice et encore, il n’en est pas digne, on ne voudrait pas risquer de souiller son soulier. Et qu’on ne m’objecte pas que, voyageur, il a rendu quelques services en temps de guerre, encore heureux qu’il ait trouvé un tout petit rôle de mécanique volante.

Saleté de pigeon, même pas bon à manger, écœurant sur son lit de petits pois farineux. »

Extrait du roman « Des éclairs », de Jean Echenoz, Editions de Minuit, pages 142 et 143.

J’adore ces petites méchancetés gratuites, cinglantes, perfides, bien balancées. Elles m’amusent particulièrement et je les ai dégustées avec plaisir.

Ces deux pages me sont destinées, c’est un message personnel. Aucun doute, Jean Echenoz a visité mon blog ! Il a voulu m’avertir, me mettre en garde, m’ouvrir les yeux sur la vraie nature des pigeons. Difficile d’oublier Jojo mais la cohabitation avec lui étant vite devenue impossible, j’avais dû lui couper les vivres. Jean Echenoz m’exonère aujourd’hui de tout scrupule. Je lui en suis très reconnaissante. A la parution de mon post, on m’a également rappelé que nourrir les pigeons des villes est réprimé par la loi.

« Des éclairs » n’est pas un livre sur la vie et les mœurs des pigeons. Ce roman raconte la vie de Gregor, inventeur de génie, mais aussi personnage excentrique, dandy, ombrageux, méprisant, susceptible, cassant (qui) se révèle précocement antipathique et finit sa vie dans la misère, entouré de pigeons.

Ce personnage de fiction est inspiré de la vie de Nikola Tesla (1856-1943), inventeur et ingénieur américain d’origine serbe.

« Des éclairs » est le dernier volet d’une trilogie dont les deux précédents sont « Ravel » et « Courir » consacré au marathonien Emil Zátopek.

Jean Echenoz

Nikola Tesla

Dans mon jardin  : pigeon chapardant la nourriture destinée aux mésanges, moineaux et rouges-gorges.

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