Il est revenu le grand printemps.
Le sud s’est ouvert comme une bouche. Ça a soufflé une longue haleine, humide et tiède, et les fleurs ont tressailli dans les graines, et la terre toute ronde s’est mise à mûrir comme un fruit.
L’escadre des nuages a largué les amarres. Ça a fait un grand et long charroi de nues qui montaient vers le nord. Ça a duré ; à mesure, on sentait la terre qui se gonflait de toutes ces pluies et de la vie réveillée de l’herbe. Enfin, une belle fois, on a vu bouillonner le ciel libre sous la poupe du dernier nuage.
Il est resté pourtant une balayure de ciel et elle flotte, accrochée au clocher d’Aubignane comme un linge autour d’une pierre dans un ruisseau.
On est là ; on n’ose pas encore commencer la peine de printemps, prendre la bêche ou le sac aux semences, commencer ; on n’ose pas. Il peut pleuvoir encore, d’un moment à l’autre ; on est directement sous le halètement du grand nuage, et le jeune jour blond est encore tout tremblant d’éclairs.
Regain – Jean Giono.
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